« La place des femmes, c’est dans la cuisine pas devant une console. »
« Elle ferait mieux d’avoir une b*** dans la bouche qu’une manette dans les mains. »
« T’as pas besoin d’un gilet pare-balles, t’as qu’à utiliser tes nichons. »

 

Si tu es une habituée des jeux vidéo, tu as peut-être déjà été confrontée à ce type de propos, comme 77% des gameuses ! 

Même si près de la moitié des joueurs réguliers sont des joueuses, le sexisme et les inégalités de genre demeurent encore très présents dans le milieu des jeux vidéo : contenu prônant une masculinité toxique, relégation des personnages féminins au second plan, hypersexualisation des corps et banalisation du cyberharcèlement. 

Malgré un manque de mixité dans l’industrie du jeu vidéo – seuls 22% des employés de studio de développement sont des femmes – des efforts sont réalisés afin de proposer des personnages féminins forts, non stéréotypés et non sexualisés. 

Cependant, ces changements sont loin de faire l’unanimité comme le montre la « polémique » concernant les leaks au sujet du sixième volet de GTA dans lequel une femme occuperait un des rôles principaux. À la suite de cette « révélation », Twitter s’enflamme : « Le personnage de GTA 6 sera une meuf ? Ça sera quoi les missions ? Faire le ménage ? » ; « Le lieu du premier braquage de GTA 6 ? Séphora ?! » … À la lecture de ces commentaires, le sexisme dans les jeux vidéo a encore de beaux jours devant lui. 

Heureusement, afin de lutter contre ces dérives (sexisme, cyberharcèlement et discriminations) des associations existent et viennent en soutien aux victimes. C’est le cas du collectif Belge WitchGamez que nous avons eu la chance de rencontrer pour ce trentième numéro. 

Pourquoi avoir créé le collectif WitchGamez ?

Le collectif est né d’un ras le bol général de ses fondatrices, chacune vivait du sexisme de son côté dans ses parties de jeu vidéo ou sur Twitch, au fil de discussions l’idée de mettre ces expériences en commun est apparue. Après beaucoup de boulot, Witch Gamez est né ! Chacune ayant sa spécialité (pour certaines c’est le jeu en ligne, pour d’autres les jeux de rôle ou encore la plateforme Twitch) il y a eu beaucoup de discussions pour trouver des moyens d’action efficaces, c’est ainsi qu’est né le système de « hauts faits ». 

Que sont les « Hauts Faits » ? A quoi servent-ils ? 

Les « Hauts Faits » sont une invention made in Witch Gamez pensée comme un équivalent anti-sexiste des trophées PlayStation ou des Succès Steam. Nous avions envie de trouver une réponse sarcastique aux problèmes de sexisme dans les jeux en ligne. Nous voulions visibiliser et mettre un nom sur ces attitudes. C’est une façon de se rendre compte que l’on n’est pas seule et de prendre ça de façon moins personnelle et de dédramatiser la situation. Grâce à cet outil, nous espérons fédérer des communautés de joueuses qui pourront échanger sur leurs « Hauts Faits » personnels et engager le sujet du sexisme dans les jeux vidéo de façon plus douce grâce à notre ton sarcastique. N’hésitez donc pas à faire un tour sur notre liste de Hauts Faits voir à en proposer !

Quels sont les objectifs de WitchGamez ? 

Nous souhaitons avant tout sensibiliser au sexisme dans le jeu vidéo et lutter contre celui-ci. Pour cela, nous avons créé des solidarités entre joueuses dans une logique d’empowerment. On espère également pouvoir sensibiliser au sexisme dans le jeu vidéo et à ses spécificités pour celles et ceux qui ne jouent pas. Pour cela nous devons expliquer ces particularités et déconstruire les clichés qui collent à ce média. En expliquant, par exemple, qu’un joueur sur deux est une joueuse et que l’industrie brassant aujourd’hui des milliards d’euros n’est plus du tout une niche. Chez Witch Gamez nous avons aussi à cœur d’être un relais d’aides juridiques et de proposer de la documentation pour aider les victimes d’attaques sexistes

Comment se manifeste le sexisme dans les jeux vidéo ? 

Il peut prendre plein de formes ! La plus commune, c’est l’agression verbale lors de parties de jeu en ligne. On compte les insultes et le harcèlement type “girl, make me a sandwich”, en plus des remarques répétées sur le fait qu’une femme jouerait forcément moins bien qu’un homme. Mais on trouve aussi un sexisme plus insidieux, faussement bienveillant. C’est le cas quand un homme offre des objets ou de l’argent à une nouvelle joueuse, car c’est une femme. Le joueur espère systématiquement quelque chose en retour, ou en profite pour la draguer. Cela implique aussi qu’une femme ne pourrait pas se débrouiller seule et aurait besoin de l’aide d’un homme. Enfin, même dans les jeux solos on peut trouver beaucoup de sexisme. Dans la représentation des héroïnes ou sa non-représentation, beaucoup de jeux ne proposent aucun personnage féminin. Mais aussi avant même la sortie du jeu, car le sexisme dans l’industrie du jeu vidéo est une pratique courante. 

Qu’est-ce que le sexisme « bienveillant » ? Comment se manifeste-t-il dans les jeux vidéo ? 

Le sexisme bienveillant est plus insidieux, mais tout aussi présent que le sexisme plus « conventionnel ». Il considère que les femmes sont moins compétentes et ont besoin d’aide. Il s’accompagne du fantasme de la gameuse qui joue en tenue décolletée avec une voix suave, loin de la réalité de toutes ces femmes qui jouent en pyjama avec des lunettes en cul de bouteille. Le sexisme bienveillant comprend aussi une attitude de chevalier blanc. Lorsqu’un homme parle par-dessus sa coéquipière pour la défendre d’une attitude sexiste ou qu’il lui coupe la parole pour se faire bien voir. On distinguer cette attitude de “sauveur” d’une attitude d’allié qui serait de laisser d’abord la parole à la personne concernée et demander si elle a éventuellement besoin d’un soutien.

Quels sont les stéréotypes de genre véhiculés dans les jeux vidéo ? 

Il existe des stéréotypes qu’on attribue aux joueuses de jeu vidéo. D’abord, elles ne joueraient qu’à certains jeux : non violents, doux et accessibles comme les Sims, Just Dance ou Animal Crossing. Pour les joueuses plus hardcores, il s’agirait d’un public de niche, de femmes qui n’ont pas de vie hors du gaming et qui correspondent au cliché du « nerd » version féminine. Mais il existe également des clichés de personnages féminins. La femme fatale hypersexualisée, le rôle de support ou d’intérêt amoureux du héros, celui de la mère, ou encore le cliché du personnage de fantasy avec une armure de la taille d’un timbre-poste.

Quelles sont les spécificités du cyberharcèlement dans les jeux vidéo ?

 La communication avec son équipe est une composante importante des jeux en ligne. Contrairement aux réseaux sociaux où il est simple de bloquer quelqu’un, ici le fait de mettre un coéquipier en muet assure une partie plus mauvaise à cause du manque de communication. Le harcèlement peut aussi devenir transplateforme, partir du jeu, aller sur Discord et continuer sur les autres réseaux sociaux. Dans ce cadre, il est compliqué de signaler un comportement qui n’a pas eu lieu sur cette même plateforme, les femmes se retrouvent souvent bloquées dans leurs démarches. Contrairement à certains réseaux, le harcèlement se fait toujours sous pseudo et est donc difficilement traçable. C’est encore plus difficile lorsque le harcèlement est oral (une grande majorité de cas) étant donné qu’il est bien plus difficile à prouver si on n’enregistre pas sa partie. S’il est déjà compliqué de porter plainte pour un harcèlement sur les réseaux sociaux, dans le jeu vidéo c’est presque impossible. Les forces de l’ordre et le monde juridique n’étant pas formés, pour beaucoup il suffit “d’éteindre le jeu”. Difficile lorsqu’on est streameuse par exemple et que jouer est littéralement son métier.

Quels sont les leviers d’actions pour lutter contre le sexisme dans les jeux vidéo ? 

Avant tout, la sororité. Si les joueuses ne se rencontrent pas et ne mettent pas leurs expériences en commun, elles ne peuvent pas se rendre compte du côté systémique de leurs vécus et ne peuvent pas s’organiser. En jeu, proposer des outils de modération efficace, des moyens de bloquer ou de mettre la personne en muet. Il faut également interpeller les studios de développement et les évènements liés au jeu vidéo pour changer la structure de l’intérieur. C’est aussi important d’avoir des espaces pensés pour les femmes, afin de proposer une expérience commune positive du jeu vidéo. Les tournois en non-mixité et autres espaces pour femmes permettent de passer un moment de jeu de façon « safe » et peuvent faire beaucoup de bien ! Il faut également interpeller nos allié.es et les former. Expliquer aux joueurs qu’ils ont un rôle à jouer dans leurs parties, et expliquer aux féministes non joueuses les spécificités de notre loisir préféré.

Quelques conseils de JV pour sortir des clichés ? 

Il faut distinguer deux choses. D’abord le jeu en tant qu’objet. Son univers, ses personnages, ses niveaux. Puis son public et la réception qu’il peut faire de celui-ci. Dans cette optique, n’importe quel jeu bienveillant peut avoir une communauté très toxique et ruiner l’expérience. À l’inverse, il existe des communautés très safes créées autour de jeux qui n’avaient à l’origine aucune portée anti-sexiste. Il existe tout de même des studios qui engagent des expertes pour regarder avant la production du jeu s’il présente du sexisme et l’éviter dans le produit final. Dans la scène indépendante, il existe aussi des propositions de jeux à faible budget ne répondant à aucune pression des investisseurs et permettant des offres plus diverses.


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